Un américain au fort

Publié le par escarpades02.over-blog.com

 

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Les généraux Pershing et Franchet d'Esperey sortent du fort. (collection M Barros):

 

On pourrait dire que le premier visiteur étranger invité au fort de Condé était américain. Cette visite eut lieu le 23 octobre 1917, le visiteur en question était le général John Pershing, commandant le corps expéditionnaire américain. C’est le général Franchet d’Esperey qui l’accueillit au fort. Pourquoi cette visite et en quoi consista-t-elle ?

Voyons tout d’abord la situation au moment de cette entrevue .

Suite au terrible échec de l’offensive Nivelle d’avril-mai 1917 qui n’obtient que des gains dérisoires (dont la reprise du fort de Condé le 17 avril) par rapport aux objectifs annoncés (Laon devait être repris en un jour), il s’ensuit les fameux troubles au sein de l’armée française que l’on a qualifié de mutineries. Le général Pétain succède à Nivelle, il entend redresser le moral des troupes, leur redonner foi en la victoire tout en constatant qu’une percée décisive à court terme est, en l’état, non envisageable. Dans l’intervalle, il croit aux offensives localisées, très bien préparées.

C’est dans ce contexte qu’est préparée l’attaque du fort de La Malmaison, visant à libérer totalement le Chemin des Dames, sous le commandement du général Franchet d’Esperey. Dans l’esprit de Pétain, il s’agit d’infliger des pertes à l’ennemi à moindre coût et de gagner du temps, il préfère « attendre les chars et les Américains ».

Parallèlement, en effet, de grands événements promettent de bouleverser totalement le déroulement des hostilités : la révolution russe et l’entrée en guerre des Etats-Unis (le 6 avril 1917). Dés juillet, les premières troupes américaines débarquent à Cherbourg, mais il faut encore des mois de préparation avant qu’un impact effectif sur le champ de bataille puisse se faire sentir.

L’organisation, la mise en place et le commandement de cette intervention US sont confiés au général Pershing. Et c’est ainsi que, le 23 octobre 1917, les généraux Franchet d’Esperey et Pershing se retrouvent au fort de Condé. Les deux hommes ont déjà été présentés l’un à l’autre par le général Pétain à Compiègne quelques mois auparavant. L’objectif de ce rendez-vous est de familiariser Pershing avec le théâtre des opérations et de l’initier à la conduite des opérations à l’échelon d’une armée. pDesperey.jpg


Le général Louis Franchet d'Esperey (1856-1942)                                                                                 

 

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Le général John Joseph "Black Jack" Pershing (1860-1948)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici comment se déroule cette entrevue, telle qu’elle est relatée par Frank Vandiver dans sa biographie du général américain : « Pendant que le tonnerre des canons roulait sur l’Aisne, le général put apprécier un repas léger dont le menu aurait fait honneur à un restaurant parisien, dans une des chambres du vieux fort de Condé. » Une anecdote semble avoir frappé la mémoire du général : « Alors que le sort de la bataille était encore incertain, le général d’Esperey, avec une nonchalance extrême, gratifia ses invités d’une longue narration de sa traversée de l’Iowa quelques années auparavant, faisant alors l'expérience de la prohibition..." (il ne s'agit pas encore de la grande Prohibition des annèes 1920 mais de legislations plus anciennes, notamment une loi dans l'Iowa passée dés 1884 concernant l'interdiction de production et de transport d'alcools) "...et raconta comment il ne put étancher sa soif, pas même avec un simple verre de vin. » Et Pershing de commenter cet épisode : « A l’entendre décrire la façon dont il avait souffert dans l’Iowa, on aurait pu penser qu’il évoquait une traversée du Sahara ».

Une fois la bataille bien engagée, les deux généraux quittent le fort, situé à un peu moins de 10 km des combats, pour se rapprocher des lignes. Les faits sont même relatés dans l’édition du New-York Times du 25 octobre 1917.

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Le fort de Condé n’y est autrement cité que comme « un poste favorable situé à quelque distance de la ligne de front française ». D’après l’article, c’est Pershing qui insiste pour se rapprocher des combats, ils gagnent ainsi les tranchées françaises puis les tranchées allemandes capturées de première puis de seconde ligne «  à travers le feu de l’artillerie ennemie » (sic). L’attitude imperturbable de Pershing aurait fait forte impression sur les soldats français précise le journaliste. On apprend aussi qu’ensuite, Pershing accompagne d’Esperey au Grand Quartier Général de Pétain (à Compiègne) lors de la présentation du rapport détaillé des opérations.

Pierre Gosa, dans sa biographie de Franchet d’Esperey écrit quant à lui, malheureusement sans mentionner l’entrevue au fort: « Dans la matinée, Franchet d’Esperey emmène Pershing et ses officiers sur le terrain dépassé par les premières vagues. Ils croisent les premières colonnes de prisonniers en marche vers l’arrière ; quelques balles perdues sifflent à leurs oreilles, les Américains se montrent ravis de ce baptême du feu. »

L’opération est un succès, à peu de frais (4% de pertes): 6 jours plus tard, l’ennemi est forcé de se replier au-delà de l’Ailette. Tous ces acteurs sont à ce moment loin de se douter qu’à quelques mois de là, les armèes allemandes balaieront à nouveau le secteur…avant que chars et Américains ne fassent effectivement pencher la balance, Franchet d'Esperey, lui, s'illustrera dans les Balkans.

 

sources bibliographiques:

Frank E. Vandiver, Black Jack: The Life and Times of John J. Pershing 

Pierre Gosa: Franchet d'Esperey: un maréchal méconnu : le vainqueur des Balkans, 1918 


Publié dans anecdotes historiques

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C
Erreur de ma part; le biographe de PERSHING a raison; d'Espèrey est passé aux Etats-Unis en Juillet 1901 à New-York en particulier à son retour de l'expédition de Chine; le coup de la soif s'est sans doute produit le 17 Juillet à une fête foraine de Long Island où il faisait très chaud et où il a dîné sur une terrasse du 7e étage pour avoir un peu moins chaud.... Dans mon article d'Octobre 2016 sur le GAN, je vais mettre une note concernant cette anecdote amusante. Merci.<br /> CDG<br /> CDG
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C
Bonjour,<br /> Pour moi d'Espèrey n'a pas été aux Etats-Unis avant la Grande Guerre; il a été au contact de la "prohibition" sur le paquebot Colombie en Novembre 1930 lors d'une escale à Colon alors en zone américaine (canal de Panama); il y a sans doute confusion de dates chez l'auteur de PERSHING:<br /> voir lien: http://cdg.pagesperso-orange.fr/CDG15012012.htm<br /> Cordialement<br /> CDG
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